Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/104

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ceux des lions. Jamais je ne vis un chien aussi populaire. Du plus loin qu’on l’apercevait, on se mettait aux portes et on disait : « Voilà Canard », comme on eût dit : « Voilà l’Empereur ». Et lui, passant au milieu de son peuple, calme et bon, souriait aux enfants, donnait aux marins un amical bonjour de la patte, obligeait les chiens à le respecter, à le saluer, à le craindre. En revanche, il se montrait galant envers les chiennes qui, depuis qu’elles le connaissaient, n’eussent pas souffert qu’un autre chien les vînt flairer de trop près.

Canard avait compris — il comprenait toutes choses — que, lorsqu’on s’installe dans un pays, il est nécessaire, par des exemples qui restent, d’y établir tout d’abord son autorité, afin d’imposer silence aux médisances, et tenir en respect les lâchetés. Depuis longtemps, un chien, une sorte de dogue hargneux, laid, méchant, redouté des enfants et des bêtes, régnait sans partage dans Audierne. Celui-ci accueillit froidement