Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/117

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comme son rêve était loin, maintenant ! Comme il se repentait de l’avoir si obstinément caressé, ce rêve, non point parce que les magnificences désirées aboutissaient à ces ruines, à cette misère, à cet homme, chasseur de pauvres diables, mais parce qu’un sentiment nouveau pénétrait en lui, qui révolutionnait tout son idéal : quelque chose de fort et de chaud, ainsi qu’un coup de vin. Il venait de voir M. de Kerral, et il le détestait. Il le détestait, lui et ses pareils. À ces hommes, vivant parmi les autres hommes, comme la bête de proie parmi le gibier, et dont son père lui disait, maintes fois, qu’il fallait les admirer, les respecter, il compara ceux de sa race, qui peinent sur les besognes journalières, petites existences serrées l’une contre l’autre, s’entr’aidant, mettant en commun, pour les mieux supporter, les transes d’aujourd’hui et les espoirs de demain ; et il se sentir fier d’être né d’eux, de représenter leur passé de douleurs, de recueillir l’héritage de leurs luttes. Il trouva au tablier de travail de son père, aux blouses des voisins, aux outils, dont le bruit laborieux avait bercé son enfance, un air plus noble, mille fois plus noble que les insolentes guêtres, la sifflante cravache et les fleurs de lys de ce Monsieur qui l’avait méprisé, lui, et avec lui tous les petits, tous les humbles, tous ceux qui n’ont pas de nom, et qui n’ont pas tué et qui n’ont pas volé. Cela le réconforta. Devant la détresse intérieure qu’exprimaient ce château, tombant pierre par pierre, et ce sol fatigué d’avoir nourri des hommes sans amour et sans pitié, il éprouva un soulagement véritable. Il se plut à imaginer, sous ces murs ébranlés, sous ces orgueilleuses tourelles décou-