Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/140

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les bois de pins, le long des estuaires aux eaux dormantes. Sébastien prenait à ces promenades un plaisir infini. Il ne se lassait pas d’admirer le spectacle de cette petite mer intérieure, qu’enclosent, à droite, la côte d’Arradon, à gauche, les collines d’Arzon et de Sarzeau, et qui s’ouvre sur l’Océan, par un étroit goulet, entre la pointe effilée de Loqmariaker et les promontoires carrés de la presqu’île de Rhuys. Des courants la sillonnent en tous sens, laissant sur la surface bleue des traînées blanches, des sentes laiteuses et nacrées ; une multitude d’îles la parsèment ; celles-ci cultivées, comme l’île aux Moines ; celles-là sauvages, comme Gavrinis, où les temples druidiques érigent leurs blocs de granit barbares. Toutes, elles ont des aspects différents, bizarres ; les unes ressemblent à de fabuleux poissons, dressant au-dessus des flots leurs nageoires dorsales ; d’autres simulent d’immenses croix couchées, et qui s’en vont à la dérive ; il y en a qui paraissent s’avancer, ainsi qu’une troupe de phoques, dans un bouillonnement d’écume ; d’autres encore, rocs luisants, tantôt couverts, tantôt découverts par la marée, émergent de l’eau clapoteuse et développent, sur la clarté irradiante, des bouquets de pins, en capricieux et noirs éventails. Et ce sont des alternances de sol obscur et d’onde brillante, une infinité de lacs céruléens, de criques mauves, de fleuves empourprés, de maelströms livides, étrangement découpés par des soubresauts de terres rocheuses ou bordés de grèves orangées ; une confusion météorique de reflets, de lumières errantes, de flamboiements chromatiques, où passent des vols de barques aux voiles qui saignent dans le