Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/171

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prendre, et ne pouvant adapter cette idée d’enfants aux rapports inconnus, aux saletés secrètes de deux jeunes garçons.

Ce qu’il savait, par le simple instinct de la vie et la seule divination du sexe, c’est qu’il existait entre les hommes et les femmes des rapprochements mystérieux, nécessaires et qu’on appelait l’amour. L’amour, l’impérissable amour, les poètes le chantaient, avec quels divins embrasements ! L’amour revenait, sans cesse, triste et béni, dans ces vers qu’il apprenait et qu’il récitait et qu’il aimait comme la plus adorable des musiques. C’étaient toujours des baisers, des étreintes, des chevelures éparses, des bras nus se refermant sur des corps pâmés ; mais ces baisers ne baisaient que des souffles, ces étreintes, n’étreignaient que d’incorporelles images ; ces chevelures se transformaient en d’intangibles rayons, ces bras n’enlaçaient que des âmes. Bien que ces vers évoquassent en réalité le triomphe des chairs heureuses, l’amour restait en lui, à l’état d’immatérielle joie, d’ivresse mentale, de céleste délire. C’était l’amour qui avait fait l’Assomption de la Vierge. Jésus en était mort, et, sur sa croix, saignant, déchiré, il en gardait la clarté éternelle et immarcescible.

L’amour, c’était encore ce trouble ravissant, cette indicible émotion qu’il avait ressentie aux caresses de Marguerite, purifiées par l’absence ; à la fugitive vision des demoiselles Le Toulic, et à ses envolements de tendresse vers les créatures chimériques et mortes dont lui parlait le Père de Kern ; c’était, en quelque sorte, l’expansion généreuse de toutes ses facultés, de toutes ses sensibilités, vers la beauté et vers la souffrance. Il n’en