Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/187

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delà !… Vous vous y habituerez, mon cher enfant, car nous viendrons ici souvent. Et comme vous aimerez cette retraite si tranquille, loin des autres, loin de tout bruit… Je vous dirai des vers, je vous raconterai les belles légendes de l’histoire. Vous verrez comme c’est exquis, la nuit, cette solitude de chapelle, cette paix de forêt que rien ne trouble… où tout se ranime, où tout revit, où tout se colore aussi des couleurs magnifiques du mystère et du rêve !… Combien de fois, lorsque j’étais triste, désespéré, lorsqu’il me semblait que le cœur de Jésus se retirait de moi, combien de fois me suis-je réfugié dans cette chambre !… Si vous saviez, mon cher enfant, comme j’y ai prié !… Quelles larmes heureuses j’y ai versées ! C’est là où Jésus m’apparaît le mieux, là où je touche sa réelle chair, aimée de la douleur… là, où l’extase de l’adorer est sans fin !… Oh ! mon cher enfant, si vous saviez… !

Il s’était rapproché de Sébastien, sa main dans celle de l’enfant. Sa voix était devenue haletante. Les mots n’arrivaient plus qu’entrecoupés de tremblements nerveux et d’efforts gutturaux. Il répéta :

— Oh !… oui… que j’y ai… prié !…

Malgré son trouble, Sébastien ne pouvait s’empêcher de remarquer malicieusement que cette piété exaltée, que ces ardentes extases divines s’accordaient difficilement avec le plaisir, plus laïque, de fumer des cigarettes et de boire des verres de liqueur. Et l’agitation insolite du Père, le frôlement de ses jambes, cette main surtout, l’inquiéta. Cette main courait sur son corps, d’abord effleurante et timide, ensuite impatiente et hardie. Elle tâtonnait, enlaçait, étreignait.

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