Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/201

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quelles morgues, déterrés d’on ne sait quelles sépultures, étalaient des chairs purulentes, des difformités de cauchemar, des mutilations qui n’ont pas de nom. Accroupis dans l’herbe ou dans la boue du fossé, les uns tendaient d’horribles moignons, tuméfiés et saignants ; d’autres, avec fierté, montraient leur nez coupé au ras des lèvres, et leurs lèvres dévorées par des chancres noirs. Il y en avait qui, sans bras, sans jambes, se traînaient sur le ventre, cherchaient à tirer des effets comiques de leurs membres absents, hallucinants et hideux paradoxes de la nature créatrice. Des femmes, les mamelles mangées et taries, allaitaient des enfants hydrocéphales, tandis qu’une sorte de gnome effarant, à la tignasse rousse, aux yeux morts, sautillait sur des pieds retenus dans d’énormes boulets de chair molle et dartreuse. Un instant, la file des élèves s’arrêta, et Sébastien vit à sa droite, couché sur un mètre de pierres, un tronçon de corps nu, une poitrine tailladée à vif, cuirassée de pus luisant comme une armure, un monstrueux ventre d’hydropique où remuaient, soulevées par le mouvement respiratoire, des squames poissées, des plaies à facettes, amas de viande corrompue et multicolore, si horribles qu’il détourna la tête, très pâle, une nausée aux lèvres.

— Et pourtant, pensa Sébastien, je suis aussi repoussant que ces misérables. Moi aussi, je suis maintenant un objet d’horreur. Chaque place de mon corps est marquée d’une fange qui ne s’effacera plus…

Et tout haut, s’adressant à Bolorec d’une voix craintive, suppliante :