Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/228

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blant du collège, l’étouffement de ses murs, l’écrasement de cette discipline, le froid visqueux de cette ombre. Du millier de petites existences qui sont là, de tout ce qui pense, de tout ce qui rêve, de tout ce qui respire là, aucun souffle n’arrive, aucun bruit, rien, rien, que le pas ennemi d’un surveillant qui va, rasant les murs, écoutant aux portes, hideuse sentinelle… Et ses yeux rencontrent, de nouveau, les inscriptions de la table, les prières naïves et déchirantes de Juste Durand : « O bonne mère sainte Anne, faites un miracle pour moi ; épargnez à mon petit père, à ma petite mère, à mes petites sœurs chéries, la honte que je sois renvoyé du collège. Ô bonne mère sainte Anne, et vous aussi, sainte Vierge Marie, mère de Jésus, je vous implore. » Son cœur s’émeut d’une tendresse indicible, d’une ineffable pitié pour ce Juste Durand qu’il n’a pas connu, et qu’il aime, à cause de cette douleur, sœur de la sienne. Où est-il aujourd’hui ? Ses parents l’ont peut-être embarqué ; peut-être l’ont-ils enfermé dans une maison de correction. Il est peut-être mort ?… Tandis qu’il s’apitoie sur le sort de Juste Durand, et de tous ceux qui ont passé dans cette chambre, et n’ont pas laissé leur nom, gravé dans le bois de la table, la porte s’ouvre. C’est le petit frère gras et ventru, qui entre, un épais sourire sur les lèvres.

— Je suis chargé de vous conduire devant le Très Révérend Père Recteur… Mais vos cheveux sont très en désordre… Il faut vous peigner un peu… Du reste, voilà toutes vos petites affaires, monsieur Sébastien Roch…

Le frère dépose un paquet sur la table, et Sébas-