Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/237

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complissait au nom de Jésus ! On déformait, on tuait les âmes d’enfant, au nom de celui qui avait dit : « Laissez venir à moi les petits enfants » ; de celui qui chérissait les malheureux, les abandonnés, les pécheurs, de celui dont chaque parole était une parole d’amour, de justice, de pardon. Ah ! leur amour à eux, leur justice et leur pardon, il les connaissait maintenant ! Il fallait être noble ou riche pour y avoir droit ! Quand on n’était ni noble ni riche, il n’y avait plus d’amour, plus de justice, plus de pardon. L’on vous chassait et l’on ne vous disait pas pourquoi !

Sébastien, remontant des faits généraux aux particularités, ne rencontrait autour de lui que des petitesses de sentiment, que des petitesses d’intelligence, dont il ne pouvait s’empêcher de sourire. Il se rappelait qu’une fois, il avait été puni de huit jours d’arrêts, pour avoir écrit dans une composition… « l’enfant qui sort de ses flancs déchirés ». Ah ! la stupeur rougissante des élèves et l’indignation du professeur, quand celui-ci lut, tout haut, ce passage : « l’enfant qui sort de ses flancs déchirés ». Quel scandale dans la classe ! Son voisin s’était écarté de lui ; une rumeur avait parcouru les bancs : « Où donc avez-vous appris de pareilles inconvenances, de pareilles malpropretés ? C’est une honte ! » Et non seulement Sébastien avait été puni, mais le professeur avait mis en pièces la composition. Une autre fois, le même professeur, à propos d’un devoir, lui avait dit sévèrement : « Vous avez une tendance détestable à la rêverie. Et vous exprimez des idées que vous devriez ignorer. Je vous engage à vous surveiller. » Il rêvait ! C’était donc un crime de rêver ?