Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/25

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n’établissait pas d’autres rapports que celui-ci. L’école était pour les petits, le collège pour les grands, les bien plus grands que lui, et il ne se disait pas qu’il grandirait un jour. Lorsque son père en parlait, cela lui semblait tellement lointain, si vague, que son esprit, sensible seulement aux formes immédiates et présentes, ne s’y arrêtait pas, mais devant la menace prochaine, devant la date implacable, il frissonnait. Il redoutait maintenant, à l’égal d’une catastrophe, cette séparation de lui-même, avec tout ce dont il avait l’accoutumance. Il ne comprenait pas, non plus, pourquoi on exigeait de lui qu’il sacrifiât ses camaraderies de la petite enfance à il ne savait quelle mystérieuse et soudaine nécessité ; en ce moment surtout, déjà bien assez pénible, où il éprouvait le besoin d’une protection, d’un resserrement plus intime avec les choses plus amies et les êtres plus chéris. Cela le rendit très triste et très tendre. Le cœur bien gros, il se retira dans l’arrière-boutique, qui servait de salle à manger, et où il avait coutume, entre les heures de l’école, d’apprendre ses leçons et de préparer ses devoirs.

C’était une pièce sombre que le soleil n’avait jamais visitée. Sa vue le glaça comme s’il y entrait pour la première fois ; et, sur le seuil, il hésita, étonné de ces objets, de ces meubles, au milieu desquels il avait vécu et qu’il ne reconnaissait plus, tant ils paraissaient avoir revêtu des aspects de brusque laideur, un air d’hostilité renfrognée, par quoi il se trouvait tout déconcerté. La table, recouverte d’un tapis de toile cirée, sur lequel étaient imprimées, par ordre chronologique