Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/270

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ni d’une raison, ni d’une excuse, puisque c’est pour moi seul que je les écris.

........................................................................................

Après la terrible scène où mon père avait menacé de me tuer, je fus assez tranquille et libre. Quelle impression ma résistance calme et résolue fit-elle sur l’esprit de mon père ? Je ne pourrais le dire exactement. À partir de ce jour, j’observai un changement dans sa manière d’être avec moi. Non seulement la colère, état tout à fait anormal chez lui, disparut, mais il m’épargna désormais l’éloquence de ses reproches et la faconde oratoire de ses conseils. Il me sembla qu’il était gêné vis-à-vis de moi, et que s’il avait eu un sentiment à manifester, c’eût été celui du respect étonné, une sorte d’admiration ébahie, comme on en a quelquefois devant un trait de force physique.

Et il ne fut plus question de me remettre au collège ; il ne fut même plus question de rien. Je le voyais fort peu, du reste, et seulement aux repas où il ne parlait presque jamais. Il avait repris ses habitudes, passait une partie de son temps à la mairie et dans la boutique de son successeur où il se vengeait en conversations exubérantes, en discours interminables, du mutisme obstiné qu’il s’imposait à la maison. Mais son mutisme était encore une éloquence. Quant à moi, libre de mes actions, je demeurai assez longtemps sans oser sortir. Une honte me retenait dans ma chambre ; je ne pouvais me décider à affronter le regard curieux de mes compatriotes. Mes plus longues promenades furent le tour des allées du jardin ; ma seule distraction, le bassin où nageaient les poissons rouges, lesquels étaient