Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/272

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croire que mon esprit, malade de souvenirs guérissables, se fût peut-être guéri, et que je l’eusse peut-être dirigé dans une voie normale et meilleure. Tous les papiers de la maison sont d’un choix pareillement lugubre et déprimant, et mon père en est très fier. Les peintures des portes, des plinthes, de l’escalier, offensent la vue, comme un mauvais exemple, et glacent le cerveau. L’homme, le jeune homme surtout, dont les idées s’éveillent, a positivement besoin d’un peu de joie, de gaieté, du sourire des choses, autour de lui ; il y a des couleurs, des sonorités, des formes, qui sont aussi nécessaires à son développement mental que le pain et la viande le sont à son développement physique. Je ne demande point le luxe des étoffes drapées ni les meubles dorés, ni les escaliers de marbre, je voudrais seulement que les yeux fussent réjouis par de gaies lumières et des formes harmonieuses, afin que l’intelligence se pénétrât de cette gaieté saine et de cette indispensable harmonie. Ici, tous les gens sont tristes, tristes affreusement ; c’est qu’ils vivent entourés de laideurs dans des maisons sombres et crasseuses où rien n’a été ménagé pour l’éducation de leur sens. Lorsqu’ils ont payé leur pain et leurs habits, enfoui dans des tiroirs cadenassés ce qui leur reste d’argent, il semble qu’ils aient accompli leur tâche sociale. L’embellissement de la vie, c’est-à-dire l’intellectuel de la vie, n’est pour eux que du superflu, dont il est louable de se priver. Comme si nous ne vivions pas réellement que par le superflu !

Il fallut me résigner – mais non m’habituer – à l’horreur véritablement persécutrice de ce pa-