Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/273

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pier. Il fallut me résigner à bien d’autres désagréments. La maison était fort mal tenue par la mère Cébron, qui était une femme excellente et infiniment malpropre. Ses torchons traînaient partout ; une infecte odeur de graillon montait de la cuisine dans les pièces du premier étage, et incommodait mon odorat, autant que le papier affligeait ma vue. Un jour, je surpris la bonne femme en train de lessiver, dans la cafetière, une paire de bas qu’elle avait portés durant un mois. Ce sont là des détails en apparence insignifiants et vulgaires, et si je les rappelle, c’est que, pendant deux ans, je n’eus réellement conscience de mon moi que par la révolte incessante qu’ils me causèrent et le découragement dégoûté où ils me mirent. Même en dehors de ce papier, et des petits inconvénients journaliers du ménage, le sentiment que j’éprouvai, au milieu de ces meubles grossiers, est assez bas, j’en conviens. Je m’y trouvais dépaysé, j’en avais honte, pour tout dire, comme si j’eusse accoutumé d’habiter de fastueux palais. Le collège, les conversations du collège, avec des camarades riches, m’avaient révélé des élégances que je sentais vivement, et que je souffrais de ne pas posséder. Naturellement, je ne faisais rien que m’ennuyer. Et cette inaction, favorisée par l’influence dépressive du papier brun à fleurs jaunes, sur mes facultés agissantes et pensantes, m’incitait à d’étranges rêveries. Je rêvais au Père de Kern souvent, sans indignation, quelquefois avec complaisance, m’arrêtant sur des souvenirs, dont j’avais le plus rougi, dont j’avais le plus souffert. Peu à peu, me montant la tête, je me livrais à des actes honteux et solitaires, avec une rage