Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/293

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ces brumes pesantes qui flottent au-dessus des marais. La nature me reprend tout entier et me parle un autre langage, le langage du mystère qui est en elle ; de l’amour qui est en moi. Et je l’écoute délicieusement, ce langage supra-humain, supra-terrestre, et, en l’écoutant, je retrouve les extases anciennes, les virginales, les confuses, les sublimes sensations du petit enfant que j’étais, jadis.


Ce sont des moments de félicité suprême, où mon âme, s’arrachant à l’odieuse carcasse de mon corps, s’élance dans l’impalpable, dans l’invisible, dans l’irrévélé, avec toutes les brises qui chantent, avec toutes les formes qui errent dans l’incorruptible étendue du ciel. Oh ! mes projets, mes enthousiasmes ! Oh ! les illuminations de mon cerveau réjoui par la lumière ! Les rafraîchissements de ma volonté retrempée dans les ondes de ce rêve lustral ! Je redeviens la proie charmée des chimères. Je veux embrasser tout cela que je vois ; conquérir tout cela que j’entends. Je serai un poète, un musicien, un savant. Qu’importent les obstacles ? Je les briserai. Qu’importe ma solitude intellectuelle ? Je la peuplerai de tous les Esprits qui sont dans la voix du vent, dans les ombres de la rivière, dans les profondeurs des bois, dans l’haleine des fleurs, dans la magie des lointains. Hélas, ces crises durent peu. Je n’ai de la persévérance en rien de ce qui est beau et bon. Et, lorsque je reviens, mes bras sont davantage lassés d’avoir voulu étreindre l’impalpable, mon âme est dégoûtée davantage d’avoir entrevu l’inaccessible entrée des Joies pures, et des bonheurs sans remords. Je retombe de plus haut, et