Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/294

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plus douloureusement, aux obscures hontes de mon inguérissable solitude.

La lettre de Bolorec est là, ouverte sur ma table. Je la relis encore. Pauvre Bolorec !… Je l’envie peut-être… Lui, du moins, a une passion qui emplit sa vie. Il attend la « grande chose » qui ne viendra jamais, sans doute ; mais il attend, tandis que moi je n’attends rien, rien, rien !


10 janvier.

Voilà cinq ans que j’ai quitté le collège. Depuis ce temps, il ne se passe pas de nuits que je n’y rêve. Et ces rêves sont atrocement pénibles. À peine s’ils ont, parfois, un côté fantastique, des déformations de choses et de visages dont l’irréel atténuerait, il me semble, ce que cette presque réalité a de persécuteur. Non, c’est le collège qu’ordinairement je revois à peu près tel qu’il est, avec ses classes, ses cours, ses figures haïes, tout ce que j’y ai enduré et souffert. Le jour, le collège continue sur moi son œuvre sourde, implacable de démoralisation ; la nuit, jusque dans mon sommeil, j’en revis les douleurs. Phénomène singulier, ce rêve ne varie jamais en son obsession… C’est mon père qui entre dans ma chambre. Sa physionomie est grimaçante et sévère. Il a sa redingote de cérémonie et son chapeau de haute forme.

— Allons, me dit-il, il est temps.

Nous partons. Nous traversons d’affreux pays noirs où des chiens féroces poursuivent de petits paysans. Tout le long de la route, sur les pierres des dolmens, des Jésuites immenses et longs sont