Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/296

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ce que je puis encore avoir de souvenirs heureux et gais ; j’ai tenté d’évoquer des images brûlantes, des luxures, de m’abstraire tout entier, en des représentations obscènes, de l’intolérable hantise de ces rêves. Tout cela est inutile. J’en suis arrivé maintenant à redouter le sommeil, à l’éloigner de moi, autant que possible. J’aime encore mieux supporter l’ennui des lentes heures nocturnes, pourtant si lentes ! si lentes !

La nuit dernière, mon rêve a été autre, et je le note ici, parce que le symbolisme m’en a paru curieux. Nous étions dans la salle du théâtre de Vannes : sur la scène, au milieu, il y avait une sorte de baquet, rempli jusqu’aux bords de papillons frémissants, aux couleurs vives et brillantes. C’étaient des âmes de petits enfants. Le Père Recteur, les manches de sa soutane retroussées, les reins serrés par un tablier de cuisine, plongeait les mains dans le baquet, en retirait des poignées d’âmes charmantes qui palpitaient et poussaient de menus cris plaintifs. Puis, il les déposait en un mortier, les broyait, les pilait, en faisait une pâtée épaisse et rouge qu’il étendait ensuite sur des tartines, et qu’il jetait à des chiens, de gros chiens voraces, dressés sur leurs pattes, autour de lui, et coiffés de barrettes.

Et que font-ils autre chose ?


24 janvier.

Aujourd’hui, il est passé, par Pervenchères, un régiment de dragons. C’est un événement considérable, dans un petit pays, que le passage d’une troupe de soldats. On en parle huit jours à l’avance, et chacun se promet des joies que je ne comprends