Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/320

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

plus bête, que les années que j’y ai véritablement vécues. » Cependant, un changement s’est opéré dans son existence. Son père l’a soigné avec dévouement pendant la période dangereuse de la maladie, passant les nuits souvent à son chevet, se montrant inquiet, malheureux. La mère Cébron l’a surpris, un matin, qui se désolait, et disait : « Il n’y a plus d’espoir ! » Ensuite, il a veillé sur sa convalescence, avec une affection tendre. Sébastien note : « Maintenant, mon père et moi, nous sortons ensemble quelquefois, bras dessus bras dessous, comme de vieux amis, événement qui semble intriguer beaucoup les gens d’ici, car c’est la première fois, depuis mon retour du collège, que cela nous arrive. Nous ne parlons pas du passé, je crois que mon père l’a oublié, ni de l’avenir : l’avenir, c’est le présent, c’est la longue habitude qu’il a de me voir dans une situation qu’il juge, aujourd’hui, naturelle et qu’il ne peut concevoir autre. Nous ne parlons guère, d’ailleurs, et n’échangeons que fort peu d’idées. Pour mon père, la moindre parole que je prononce est une énigme ou bien une folie. Au fond, je suppose qu’il me craint et que, peut-être, il me respecte. Il a des timidités comme s’il était en présence d’un être qu’il trouve dangereux, mais supérieur à lui. Il se surveille davantage avec moi, en ses expressions, et en l’expansion oratoire de ses idées, de peur de dire une sottise. J’ai remarqué que, sous l’emphase qui lui est coutumière malgré tout, ses idées sont infiniment restreintes. Je ne lui en connais que trois, dont il ait un sens exact et précis, et qu’il transpose du monde physique au monde moral. Elles correspondent aux idées de