Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/40

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angoisses nouvelles, des amertumes et des pitiés inconnues.

Quant à M. Joseph-Hippolyte-Elphège Roch, il n’éprouvait aucun de ces troubles intérieurs, et il attendait les événements avec un calme béat. Il était heureux, lui ; il se carrait dans son éloquence, s’exaltait dans l’apothéose de son génie, convaincu que, par sa volonté, un fait inouï, un fait historique s’accomplissait. Le dimanche, après les vêpres, strictement vêtu de noir, il entretenait, assis devant sa boutique, les voisins émerveillés de ses incommensurables histoires. Et, très digne, avec une autorité tranquille, imprimant à son buste des balancements isochrones, il lançait des phrases énormes, de colossales bourdes qui lui valaient un accroissement de respect.

Enfin arriva la date fatale.

La veille, M. Roch, depuis plusieurs jours officiellement prévenu du passage du Père Jésuite chargé de ramener les élèves, était resté, très tard, dans la soirée, à compulser l’indicateur des chemins de fer. Il vérifia et revérifia l’heure d’arrivée du train aux principales stations, compta le nombre de kilomètres, entre les différentes villes, étudia le prix des places, suivant les classes, se perdit dans le dédale des embranchements et des correspondances, d’ailleurs absolument étrangers à l’itinéraire de son fils. Une chose l’étonnait, c’est que la ligne s’arrêtât à Rennes. Cet inconnu de Rennes à Vannes, ce biffage de tout un pays, célèbre, en une énumération de villes indifférentes et ignorées, le troublaient fort. Il ne pouvait admettre que les Compagnies n’eussent pas prolongé leur ligne, jusqu’à Vannes, à cause des Jésuites.