Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/83

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s’appellent tes voisins de classe ? Avec qui t’es-tu lié de préférence ? Le Révérend Père qui t’a conduit te parle-t-il de moi ? »

Les brimades revinrent encore, mais elles perdaient chaque fois de leur caractère de violence pour ne plus conserver qu’une sorte d’intermittente, de joviale raillerie qui lui rendait moins insupportable sa blessure. Cependant, il sentit très vivement l’amertume de l’inégalité sociale, avérée, persistante, en laquelle il vivait. D’être toléré comme un pauvre, et non accepté comme un pair, cela lui fut un sourd chagrin, une plaie d’inguérissable orgueil, contre lequel il tenta, vainement, de réagir. Cette solitude où on le laissait le fit plus grave et réfléchi, presque vieux. Les roses couleurs de ses joues s’effacèrent et pâlirent ; l’ovale de son visage s’amincit, ses yeux se cernèrent inquiets, meurtris, se voilant sans cesse sous une double expression de tristesse tranquille et de méditation étonnée. Devant les inextricables complications de la vie, ses surprises augmentèrent chaque jour. Chaque jour lui révéla des habitudes, des noms, tout un ordre de choses importantes, toute une série de personnages, augustes et révérés, qui semblaient familiers à tout le monde, et qu’il se désolait d’être le seul à ne pas connaître et qu’il s’irritait de ne pas comprendre. Cette ignorance lui valait de fréquentes avanies. Une après-midi, Guy de Kerdaniel, à brûle-pourpoint, lui demanda « pour qui il était, du comte de Chambord ou de l’Usurpateur ? » Ne sachant pas ce qu’étaient ces personnages, s’ils existaient vraiment, et de quelle façon on pouvait « être pour l’un ou pour l’autre », il n’avait rien répondu.