Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/86

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

haines étaient la loi souveraine. Il connaissait son pouvoir et en abusait volontiers, surtout contre les faibles. Choyé par les maîtres, en raison de sa naissance presque illustre, adulé par les élèves, en raison des spéciales attentions, de l’évidente préférence que lui manifestaient les maîtres, il résumait en lui ce que la vie a de plus souhaitable et de vénéré. On savait la considérable fortune de ses parents, leur prestigieux château sur les bords de la Rance, leur train de vie magnifique et bruyant. Les imaginations s’exaltaient au récit des chasses, des réceptions, des églises rebâties, des couvents subventionnés, des entrevues fréquentes du marquis de Kerdaniel avec le comte de Chambord qui l’avait institué, officiellement, son confident le plus intime, son ami le plus écouté. De ces merveilles, de ces élégances, de cette amitié royale, le fastueux Guy gardait une indestructible auréole. Chétif de corps, malsain de peau, marqué sur son front pâli, rétréci, déjà fané, du stigmate des races épuisées, il avait l’assurance d’un homme fait, le geste bref, la bouche impérieuse, l’œil insolent sous des paupières trop lourdes et clignotantes. Il n’en était pas moins, malgré cet aspect de groom anémié, le centre élu, le pivot choisi de cette société infantile, acquise par l’exemple et l’éducation, à tous les servilismes, comme à toutes les tyrannies. Les vanités, les ambitions, les aspirations secrètes ou avouées de ce petit peuple, parqué en de jalouses coteries, rayonnaient vers sa personne fragile et redoutable, ou plutôt vers ce qu’elle évoquait de richesse éblouissante, de luxe sacré et d’agenouillements humains. Sébastien n’essaya pas de l’attendrir par une lâche sou-