Page:Mirbeau - Sur la berge, paru dans l’Écho de Paris, 14 juin 1892.djvu/6

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Deuxième bourgeois

Et le grand-duc Constantin !… Croyez-vous que cela a dû leur clouer le bec, aux Allemands !

Premier bourgeois

Et Coquelin, partout ! Et Sarah Bernhardt !… On a dit beaucoup de mal des comédiens ; et c’est de l’ingratitude… Car enfin, les comédiens — surtout les comédiens de la Comédie-Française — vont porter à l’étranger quelque chose de l’âme de la France… Oui, ils font de l’étranger, en quelque sorte, une patrie française… Moi, je trouve que les comédiens ont fait, pour le relèvement de la France, plus que toute la diplomatie… Et si l’on me disait que Cronstadt, — soyons nets, que l’alliance russe, c’est à Mlle Reichenberg et à madame Judic que nous la devons… eh bien, je ne trouverais pas cela exagéré… Les événements politiques, quand on les étudie, ont des causes bien mystérieuses… Tenez, ce Febvre à Bâle…

Deuxième bourgeois

Qu’est-ce qu’il a fait à Bâle, ce Febvre ?

Premier bourgeois

Ce qu’il a fait ?… Une chose extraordinaire, incalculable, surhumaine. Il a, dans un souper, forcé des Allemands… oui, mon cher, des Allemands, à crier : « Vive la France ! » (Confidentiellement.) Tenez, quand cet homme-là nous rendrait l’Alsace et la Lorraine, il ne faudrait pas s’en étonner !…

Deuxième bourgeois

Ah ! Mais, du reste, ça n’est pas le premier venu que M. Febvre !… D’abord, c’est un parfait homme du monde… un grand seigneur, dans toute l’acception du terme… Est-il assez distingué !… Quelle prestance ! Quel geste ! Quel habit !