Page:Mirbeau - Sur la route, paru dans l’Écho de Paris, 23 janvier 1891.djvu/3

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coin dans la paille, ou sur le fumier, pour la nuit… Leurs petites faces noires, leurs loques couvertes de suie, ont mis les gens en colère, et en défiance : « Non, non… Allez-vous en… Il n’y a pas de place ici, pour les voleurs ! » Et comme ils ont insisté, une femme, grosse et rouge, les a menacés de lâcher sur eux les chiens… En effet, un chien hérissant sur son dos de longs poils roux, la gueule terrible, aboyait, s’élançant, d’un bond, jusqu’au bout de sa chaîne… Ils ont regagné la route, le cœur gros ; ils ont marché, marché encore… Puis, brisés de fatigues, grelottant sous leurs noires guenilles, ils se sont arrêtés… La plaine est vide… Aucune lumière… Que vont-ils faire ? Où vont-ils aller ? Ils ne savent pas… La terreur du ciel les écrase… le froid les déchire… Ils sentent dans tout leurs corps, une douleur vive, comme si leur peau était à vif… Les petits ramoneurs se sont rapprochés, l’un de l’autre, se sont serrés l’un contre l’autre… la main dans la main… et les larmes se glacent à la pointe de leurs cils…)

Premier ramoneur

Tu ne vois pas de maison ?

Deuxième ramoneur

Non… je ne vois pas de maison.

Premier ramoneur

Regarde bien… Il n’y a pas d’abri ?

Deuxième ramoneur

Non… il n’y a pas d’abri…

Premier ramoneur

Et la ville, tu ne sais pas si c’est loin, encore, la ville ?

Deuxième ramoneur

Quelle ville ?… Il n’y a plus de villes… Il n’y a que le ciel si noir et la lune si méchante…