Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/134

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les renie ?… (Avec un peu moins de violence.) Et moi ?… Est-ce qu’il m’a jamais sauvée de la misère, moi ?… Est-ce qu’il m’a jamais tendu la main, à moi !…

LUCIEN, très tendre, très tristement tendre.

Comprends… je t’en prie, ma chère Germaine… Je ne veux pas défendre ton père contre toi… Tu as raison, peut-être, et tu as le droit, sans doute, de ne pas l’aimer… puisque tu as souffert de lui… Mais ne pourrais-tu point ne pas l’aimer, sans le juger aussi implacablement que tu le fais ?…

GERMAINE

Mon jugement est à la mesure de ma haine… Je n’y peux rien… (Mouvement de Lucien.) Qu’est-ce que tu as ?

LUCIEN

Tu me fais beaucoup de peine…

GERMAINE

Pourquoi me dis-tu cela ?

LUCIEN

Es-tu bien sûre de connaître ton père ?… Es-tu sûre que ton père soit… toujours responsable de ses actes ?…

GERMAINE

Si mon père n’était que fou… je supporterais sa folie… je pourrais même l’aimer et le guérir, à force de l’aimer… Mais… il n’est pas fou… Un homme aussi tenace et qui ne perd jamais pied dans ses plus extravagants caprices… un homme aussi terriblement logique dans sa déraison… n’est pas fou…