Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/141

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LUCIEN

C’est horrible !… Mais Dauphin était, lui aussi… un escroc…

GERMAINE

C’était alors un faible… un malheureux… un vaincu… Ah ! Lucien !

LUCIEN

Une légende, peut-être !

GERMAINE

Ah ! tais-toi ! La vérité… Je suis allée voir Mme Dauphin… Elle m’a tout dit… Je me suis jetée à ses pieds… et nous avons pleuré ensemble… Et d’autres… et cent autres… et mille autres !… Trouves-tu maintenant que je n’ai pas le droit de juger mon père ?… (Silence de Lucien.) Comprends-tu maintenant que je veuille quitter une maison où chaque pierre, où chaque morceau de terre est acquis avec les larmes de quelqu’un ?… (Silence de Lucien.) Je te disais aussi que mes parents ne s’étaient jamais occupés de moi… J’avais tort… Et tu vas voir de quelle façon familiale et dévouée… Mon père avait la manie de vouloir me marier… c’est-à-dire… de tirer de moi un bon prix ou un meilleur traité… Dans une affaire à gros bénéfices, j’étais devenue, selon le caractère des gens, l’appât ou l’appoint, qui devait la terminer à son avantage… je n’existais plus… pour lui… comme être humain… j’étais une valeur changeante de spéculation… Moins que cela… souvent… il me donnait par-dessus le marché… comme, au dernier moment, en gage de bonne entente avec son client, un boucher ajoute quelques grammes à la livre de viande