Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/29

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je sais ce que je sais… je vois ce que je vois… Et quand elle serait déjà ta maîtresse, cela ne m’étonnerait pas… (Sur un mouvement du mari.) Et puisque je te le permets… puisque je te le demande… puisque j’en serais heureuse ?… Es-tu content de m’avoir forcée à te crier tout haut ce que j’aurais voulu seulement chuchoter… Ah !… quel homme !… Et pourquoi trouves-tu tant de plaisir à m’humilier… à me torturer ?… Mais ne me pousse pas à bout avec tes cruautés… ne m’oblige pas à te dire, enfin, tout ce que j’ai sur le cœur… Et j’en ai gros sur le cœur… ça, je te le jure…

Le mari, il lève ses yeux au ciel.

Mais c’est confondant… c’est de la folie… Je crois rêver, ma parole !… Tu as donc perdu toute moralité… toute pudeur ?…

La Femme

La moralité… la pudeur… la vertu… voilà d’étranges paroles dans ta bouche… Invoque-les devant les autres, si tu veux… Mais entre nous ?… Ah ! non… tu devrais t’éviter ce ridicule de les prononcer… Il y a longtemps que tes sales vices les ont abolies en moi… et que tu as refait mon âme à l’image de la tienne…

Le mari

C’est trop de honte…

(Il veut se lever.)
La Femme

Reste… Puisque nous sommes dans la honte, il faut que tu en entendes plus encore… Et ne te fâche pas… c’est tout à fait inutile… Je ne te demande pas l’impossible, mon Dieu !… Je sais bien que je ne suis plus une femme, que je ne puis plus être une femme pour toi…