Page:Mirbeau - Théâtre I.djvu/36

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Le mari, très sec, très dur.

C’est bien… (Il se lève.) C’est entendu… (Il fait quelques pas sur la terrasse, s’arrête un instant à peine.) Bonsoir !…

La Femme, elle le regarde s’éloigner. Tout à coup elle s’amollit et pleure, épuisée par le grand effort qu’elle a fait.

J’ai eu tort de m’emporter… Je te demande pardon, André… mais, je suis si malheureuse !… Quand on souffre trop, vois-tu, on ne sait plus toujours ce que l’on dit… Il ne faut pas faire plus d’attention aux colères des malades… qu’à celles des petits enfants… (Le mari se dirige lentement vers le jardin sans répondre.) André… où vas-tu ?… André… ne t’en va pas !… Ne me laisse pas toute seule ici… Je t’en supplie !… (Il disparaît dans le jardin. Silence.) André !… André !… (Elle écoute.) Il est parti… Il ne va pas revenir… Mais non… C’est impossible… (Elle regarde de tous les côtés.) Je suis toute seule… André !… André !… Je ne veux pas rester toute seule, le soir, sur cette terrasse… Je veux rentrer… (Elle essaie de se lever, de se redresser, mais la souffrance lui arrache des cris.) Mon Dieu ! mon Dieu !… Je veux rentrer… je veux rentrer… (Et tout à coup, prise d’épouvante, elle crie.) Rosalie !… Où êtes-vous !… Rosalie !… Rosalie !… André !… Ils ne viendront pas… Ils vont me laisser là !… (Un silence. Ses yeux hagards vont du jardin par où s’en est allé son mari, à la maison dont les fenêtres rougeoient davantage.) Rosalie !… (Un affreux silence succède à ce cri.) Rosalie !… (Même silence. Sanglotant, elle allonge ses bras sur la table, mais ses bras retombent, et sa tête s’incline sur son épaule, pend en dehors des coussins, sur le rebord de la chaise longue. — D’une voix chétive et tremblante.) Pourquoi… pourquoi ne suis-je pas morte ?…