Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/124

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Jean

Mais pourquoi êtes-vous venu à moi ?… Est-ce que je vous appelais ?… Vous allez par un chemin…, moi par un autre… Nous ne pouvons pas nous rencontrer…

Robert

Qu’en savez-vous… puisque vous savez si mal ce que je suis ?…

Jean

Je sais qu’entre vous et moi, il y a des choses trop lointaines… et qui ne doivent pas et qui ne peuvent pas se rejoindre…

Un silence.
Robert

Mon Dieu !… je comprends vos méfiances, puisque je devine en vous une pauvre âme violente, tourmentée et déçue… Mais, je vous en conjure… écoutez-moi un instant… écoutez-moi… comme si j’étais le passant de votre chemin, le voyageur anonyme qui va vers le même espoir que vous… Je ne suis pas celui que vous croyez… je me suis fait une existence libre des préjugés de ma caste… Tous les avantages, tous les privilèges que la fortune offrait à ma jeunesse, je n’en ai pas voulu… Je suis un travailleur comme vous… je n’attends rien que de moi-même… et je vis de ce que je gagne…

Jean, avec une tristesse infinie.

Et moi, j’en meurs !… (Tout à coup, il empoigne la main de Robert qu’il entraîne vers la porte, et, d’un grand geste, il lui montre l’usine qui flambe dans la nuit… À mesure qu’il parle, sa voix se fait