Page:Mirbeau - Théâtre II.djvu/134

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Madeleine

Vous ne dites plus rien ?…

Jean, reprenant son récit.

C’était, chaque fois, une chute plus profonde du haut de mon rêve… Et c’était aussi, chaque fois, plus de misères, de douleurs pour moi. Je fus expulsé de Rio-Janeiro, à la suite d’une grève… Réfugié en Espagne, j’y fus tout de suite dénoncé… Englobé dans une conspiration anarchiste, arrêté sans raison, condamné sans preuves… durant deux longues années je pourris dans les cachots de Barcelone… et je n’en sortis que pour voir garrotter, au milieu d’une foule ivre de sang, mon ami Bernal Diaz… cet enfant à cœur de héros, dont je vous ai parlé quelquefois !…

Madeleine

Oui… ah ! oui !… Ce fut horrible…

Jean

J’avais juré de le venger… mais on est lâche quelquefois… Quand on n’a rien dans le ventre, voyez-vous… on n’a rien non plus dans le cœur !…

Un silence.
Madeleine

Et puis ?

Jean

Et puis… traqué par la police, sans travail, sans gîte, errant de ville en ville, crevant de faim, un jour à Bordeaux, on me jeta en prison parce que j’avais volé un pain…