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ACTE CINQUIÈME


Le théâtre représente une place de la ville. Au premier plan, dans toute la longueur de la scène, une cour entourée d’un mur très bas, et que surmonte une grille de fer… Beaucoup de barres ont été descellées et arrachées ; les autres sont tordues… Un écriteau : À louer pour magasin, subsiste encore. Au milieu de la grille, une porte s’ouvre donnant sur la place, et, de l’autre côté de la place, sur une rue qui s’allonge très loin, et au bout de laquelle on aperçoit les usines incendiées et fumantes… À droite, dans la cour, un hangar où l’on porte des cadavres et qui se continue dans la coulisse… À gauche, sous un arbre grêle, un banc… Les maisons gardent les traces d’une bataille récente… Les volets sont clos… les devantures des boutiques et des cafés, éventrées… Un grand soleil brille sur tout cela, sur la ville plus grise, plus triste, plus noire, dans sa permanente atmosphère de charbon, d’être éclairée par une lumière violente.
Au lever du rideau, la place est déserte… Conduits par des gendarmes, une longue file de grévistes prisonniers traversent la scène… Alors, quelques volets s’ouvrent et des têtes apparaissent, anxieuses et curieuses… Quelques commerçants se hasardent sur le seuil des boutiques et regardent, encore effarés, dans la direction par où viennent de disparaître les grévistes enchaînés… Deux civières, enveloppées de toile grise et portées chacune par deux porteurs, pénètrent dans la cour… Les porteurs enlèvent les toiles, déposent les morts sous le hangar, près des autres cadavres… Un curieux, mi-ouvrier, mi-bourgeois, s’aventure jusqu’à l’entrée de la cour et regarde.



Scène première

LE CURIEUX, LES QUATRE PORTEURS
Le Curieux

Eh bien !… Est-ce qu’il y en a encore beaucoup ?