Page:Mireille Havet Carnaval 1922.djvu/29

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l’égoïsme étroit de sa peine qui lui fait tout renier, le rend dur comme ces animaux pétrifiés goutte à goutte, que l’on retrouve au fond des souterrains montagnards. L’évolution a lieu dans cette douleur, dans ce désir qui abaisse son regard. Peut-être va-t-il être enfin délivré, peut-être touche-t-il au bord du puits où il faillit sombrer. C’est alors, l’amour ne voulant pas qu’on lui échappe, comme ce grand inquisiteur de Villiers de l’Isle-Adam qui laissait croire à son martyr que l’évasion était accomplie, pour le serrer plus étroitement dans ses bras : « Est-il vrai, mon fils, vous vouliez nous quitter », que Germaine, n’ayant sans doute rien de mieux à faire et sûre d’elle, lui téléphona de venir immédiatement la voir.

À peine est-il sur le seuil que l’odeur de bois brûlé réveille en lui ses souvenirs, un amour qui sait le mal de l’absence et bondit comme une bête délivrée.

— « On dirait que vous avez été malade, dit Germaine en voyant son nouveau visage sérieux et dur. Je vous ai prié de venir parce que je suis seule. Jérôme est parti, voici quelque temps, pour Venise où je m’en vais bientôt le rejoindre, mais j’ai eu beaucoup à faire et c’est pourquoi… »

— « Moi aussi, Germaine, je voulais toujours venir, mais on est tellement pris. »

Il joue l’indifférence, il y croit presque, car, sa peine soudain détruite par la présence, il se sent délivré ; tout ne lui apparaît plus que comme une obsession maladive où l’amour n’entrait pour rien.

— « Avez-vous travaillé ? »

— « Oui, quelques poèmes, pour vous ; je vous les montrerai plus tard. »

— « Toujours la même chose sans doute, vous m’y traitez de menteuse. »

— « Non, je parle cette fois-ci du printemps. »