Page:Mireille Havet Carnaval 1922.djvu/39

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poids de cette femme comme Jérôme à cette heure.

Il devient fou.

Les femmes qui l’entourent connaissent maintenant cette fureur contenue qui l’embrase vers le soir.

Elles le font boire, lui passent de la cocaïne, le soignent avec leurs pauvres moyens du demi-monde, compatissantes pour ce garçon jeune et beau qui souffre à heure fixe comme quand on a la fièvre. Il leur paraît perdu et se revêt à leurs yeux, bien malgré lui, du charme des choses inaccessibles, pays quittés, amis morts, fortunes jouées.

Le petit bar est orné de drapeaux, un nègre affreux y fait « jazz band » avec un malheureux banjo, accompagné d’une femme qui joue de la mandoline et porte un corsage noir montant, pailleté de jais, son visage est on ne peut plus comme il faut, on pourrait l’appeler « ma cousine ». Elle fait aussi penser à la cigale quand elle commence à se ranger, pour devenir fourmi.

Daniel dîne là chaque soir, reste à s’abrutir. Il rit des facéties grossières, toujours les mêmes, dont on ahurit les nouveaux clients. Il a adopté lui-même ce langage limité où l’on dit : mon petit à tout le monde, cocktail, taxi, coco, poule, tante, barman, et où l’on compte en louis comme un croupier.

Avec l’abrutissement viendra peut-être, un jour, le courage du geste lâche qui le délivrera, croit-il, de tout.

Le matin, il va aux halles. Il revient avec des paniers de pivoines comme les revendeuses, mais sa mère est tout de même bien triste. L’après-midi, il dort ; le soir, il remonte au bar.

Un jour, il y rencontra ce danseur de Germaine qu’elle avait embrassé sur la bouche devant lui.