Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/104

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Sganarelle

Tout de même. Et au diable, s’il vous plaît ?

Don Juan

Oui, oui.

Sganarelle

Aussi peu. Ne croyez-vous point à l’autre vie ?

Don Juan

Ah ! ah ! ah[1] !

Sganarelle

Voilà un homme que j’aurai bien de la peine à convertir. Et dites-moi un peu, [le moine bourru[2], qu’en croyez-vous ? eh !

Don Juan

La peste soit du fat !

Sganarelle

Et voilà ce que je ne puis souffrir ; car il n’y a rien de plus vrai que le moine bourru, et je me ferais pendre pour celui-là. Mais encore faut-il croire en quelque chose dans le monde : qu’est-ce donc que vous croyez ? ]

Don Juan

Ce que je crois ?

Sganarelle

Oui.

Don Juan

Je crois que deux et deux sont quatre, Sganarelle, et que quatre et quatre sont huit.

Sganarelle

La belle croyance et les beaux articles de foi que voici ! Votre religion, à ce que je vois, est donc l’arithmétique ? Il faut avouer qu’il se met d’étranges folies dans la tête des hommes, et que, pour avoir bien étudié, on en est bien moins sage le plus souvent. Pour moi, monsieur, je n’ai point étudié comme vous, Dieu merci, et personne ne saurait se vanter de m’avoir jamais rien appris ; mais, avec mon petit sens, mon petit jugement, je vois les choses mieux que tous les livres, et je comprends fort bien que ce monde que nous

  1. Cette scène et la suivante firent accuser Molière d’irréligion. Tout ce qui est placé entre les crochets fut supprimé par la censure sous le règne même de Louis XIV.
  2. Le moine bourru était un fantôme qui courait pendant la nuit dans les rues des villes, et battait les passants attardés.