Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/151

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je pas autant gagné à le tenir caché toute ma vie ? Crois-tu que je n’aie pas bien prévu tout ce que tu vois maintenant, que je ne susse pas à fond tous les sentiments de mon père, et que le refus qu’il a fait porter à celui qui m’a demandée par un ami, n’ait pas étouffé dans mon âme toute sorte d’espoir ?

Lisette

Quoi ! c’est cet inconnu qui vous a fait demander, pour qui vous…?

Lucinde

Peut-être n’est-il pas honnête à une fille de s’expliquer si librement ; mais enfin, je t’avoue que s’il m’était permis de vouloir quelque chose, ce serait lui que je voudrais. Nous n’avons eu ensemble aucune conversation, et sa bouche ne m’a point déclaré la passion qu’il a pour moi ; mais dans tous les lieux où il m’a pu voir, ses regards et ses actions m’ont toujours parlé si tendrement, et la demande qu’il a fait faire de moi, m’a paru d’un si honnête homme, que mon cœur n’a pu s’empêcher d’être sensible à ses ardeurs ; et cependant tu vois où la dureté de mon père réduit toute cette tendresse.

Lisette

Allez, laissez-moi faire. Quelque sujet que j’aie de me plaindre de vous du secret que vous m’avez fait, je ne veux pas laisser de servir votre amour ; et, pourvu que vous ayez assez de résolution…

Lucinde

Mais que veux-tu que je fasse contre l’autorité d’un père ? Et, s’il est inexorable à mes vœux…

Lisette

Allez, allez, il ne faut pas se laisser mener comme un oison ; et pourvu que l’honneur n’y soit pas offensé, on peut se libérer un peu de la tyrannie d’un père. Que prétend-il que vous fassiez ? N’êtes-vous pas en âge d’être mariée ? et croit-il que vous soyez de marbre ? Allez, encore un coup, je veux servir votre passion : je prends dès à présent sur moi tout le soin de ses intérêts, et vous verrez que je sais des détours… Mais je vois votre père. Rentrons, et me laissez agir.