Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/355

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Adraste

Un peu plus de ce côté ; vos yeux toujours tournés vers moi, je vous en prie ; vos regards attachés aux miens.

Isidore

Je ne suis pas comme ces femmes qui veulent, en se faisant peindre, des portraits qui ne sont point elles, et ne sont point satisfaites du peintre s’il ne les fait toujours plus belles que le jour. Il faudroit, pour les contenter, ne faire qu’un portrait pour toutes; car toutes demandent les mêmes choses : un teint tout de lis et de roses, un nez bien fait, une petite bouche, et de grands yeux vifs, bien fendus, et surtout le visage pas plus gros que le poing, l’eussent-elles d’un pied de large. Pour moi, je vous demande un portrait qui soit moi, et qui n’oblige point à demander qui c’est.

Adraste

Il seroit malaisé qu’on demandât cela du vôtre, et vous avez des traits à qui fort peu d’autres ressemblent. Qu’ils ont de douceurs et de charmes, et qu’on court de risque à les peindre !

Dom Pèdre

Le nez me semble un peu trop gros.

Adraste

J’ai lu, je ne sais où, qu’Apelle peignit autrefois une maîtresse d’Alexandre, et qu’il en devint, la peignant, si éperdument amoureux, qu’il fut près d’en perdre la vie : de sorte qu’Alexandre, par générosité, lui céda l’objet de ses vœux. (Il parle à Dom Pèdre.) Je pourrois faire ici ce qu’Apelle fit autrefois ; mais vous ne feriez pas peut-être ce que fit Alexandre.

Isidore

Tout cela sent la nation ; et toujours Messieurs les François ont un fonds de galanterie qui se répand partout.

Adraste

On ne se trompe guère à ces sortes de choses ; et vous avez l’esprit trop éclairé pour ne pas voir de quelle source partent les choses qu’on vous dit. Oui, quand Alexandre seroit ici, et que ce seroit votre amant, je ne pourrois m’empêcher de vous dire que je n’ai rien vu de si beau que ce que je vois maintenant, et que…

Dom Pèdre