Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/367

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de l’imposteur, Elmire enfin, toute charmante de décence, quoiqu’elle aille vêtue ainsi qu’une princesse. Quelle habileté dans cette demi-teinte du caractère d’Elmire, de la jeune femme unie à un vieillard ! Si Molière l’eût faite passionnée, tout le reste devenait à l’instant impossible ou invraisemblable : la résistance d’Elmire perdait de son mérite ; Elmire était obligée de s’offenser, de se récrier, de se plaindre à Orgon. Point :

Une femme se rit de sottises pareilles,
Et jamais d’un mari n’en trouble les oreilles.

Elle n’éprouve pour Tartuffe pas plus de haine que de sympathie ; elle le méprise, c’est tout. Ce sang-froid était indispensable pour arriver à démasquer l’imposteur. Elmire nous prouve quels sont les avantages d’une honnête femme qui demeure insensible sur la passion du plus rusé des hommes, de Tartuffe. »

Considéré au point de vue de la morale sociale ou religieuse. Tartuffe a été l’objet de vives et nombreuses attaques. Nous allons, au moyen de quelques extraits, donner une idée aussi exacte que possible des critiques dont il a été l’objet, depuis le dix-septième siècle jusqu’à nos jours.

Ce fut le curé de Saint-Barthélémy, Roullès, qui ouvrit le feu par un écrit anonyme : le Roi glorieux au monde. Roullès, dans cet écrit, appelle Molière « un démon vêtu de chair, habillé en homme ; un libertin, un impie digne d’être brûlé publiquement. » L’auteur d’un libelle intitulé : Observations sur une comédie de Molière intitulée : le Festin de Pierre[1], enchérit encore sur le curé de Saint-Barthélémy :

« Certes, il faut avouer que Molière est lui-même un Tartuffe achevé et un véritable hypocrite… Si le dessein de la comédie est de corriger les hommes en les divertissant, le dessein de Molière est de les perdre en les faisant rire, de même que ces serpents dont les piqûres mortelles répandent une fausse joie sur le visage de ceux qui en sont atteints…

» Molière, après avoir répandu dans les âmes ces poisons funestes qui étouffent la pudeur et la honte ; après avoir pris soin de former des coquettes et de donner aux filles des instructions dangereuses, après des écoles fameuses d’impureté, en a tenu d’autres pour le libertinage… ; et, voyant qu’il choquait toute la religion et que tous les gens de bien lui seraient contraires, il a composé son Tartuffe et a voulu rendre les dévots des ridicules ou des hypocrites… Certes, c’est bien affaire à Molière de parler de la religion, avec laquelle il a si peu de commerce et qu’il n’a jamais connue, ni par pratique ni par théorie…

  1. À la date où parurent ces Observations, le Tartuffe n’avait encore été joué que chez Monsieur, frère du roi.