Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/382

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l’art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu’ils fassent, ce n’est point du tout l’intérêt de Dieu, qui les peut émouvoir : ils l’ont assez montré dans les comédies qu’ils ont souffert qu’on ait jouées tant de fois en public sans en dire le moindre mot. Celles-là n’attaquaient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu : mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes ; et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauraient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde ; et, sans doute, on ne manquera pas de dire à Votre Majesté que chacun s’est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, Sire, c’est que tout Paris ne s’est scandalisé que de la défense qu’on en a fait, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu’on s’est étonné que des personnes d’une probité si connue aient eu une si grande déférence pour des gens qui devraient être l’horreur de tout le monde, et sont si opposés à la véritable piété, dont elles font profession.

J’attends avec respect l’arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière : mais il est très assuré, Sire, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l’avantage ; qu’ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume.

Daignent vos bontés, Sire, me donner une protection contre leur rage envenimée ! et puissé-je, au retour d’une campagne si glorieuse, délasser Votre Majesté des fatigues de ses conquêtes, lui donner d’innocents plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait trembler toute l’Europe[1].

  1. Voici comment les registres de la Comédie-Française rendent compte de la présentation de ce placet : « Le lendemain 6, un huissier de la cour du parlement est venu, de la part du premier président, M. de Lamoignon, défendre la pièce. Le 8, le sieur de La Thorillière et moi de La Grange, sommes partis de Paris en poste, pour aller trouver le roi au sujet de ladite défense. S. M. était au siège de Lille en Flandre, où nous fûmes très bien reçus. Monsieur nous protégea à son ordinaire, et S. M. nous fit dire qu’à son retour à Paris elle ferait examiner la pièce de Tartuffe, et que nous la jouerions. Après quoi nous sommes revenus. Le voyage a coûté 1,000 francs à la troupe. La troupe n’a point joué pendant notre voyage ; et nous avons recommencé le 25 de septembre. »
    (Aimé Martin.)