Page:Molière - Édition Louandre, 1910, tome 2.djvu/424

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915De vous faire autre mal je n’eus jamais dessein,
Et j’aurais bien plutôt…
(Il met la main sur les genoux d’Elmire.)

Elmire
Et j’aurais bien plutôt… Que fait là votre main ?


Tartuffe
Je tâte votre habit : l’étoffe en est moelleuse.


Elmire
Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.

(Elmire recule son fauteuil, et Tartuffe rapproche d’elle.)

Tartuffe, maniant le fichu d’Elmire.
Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux !

920On travaille aujourd’hui d’un air miraculeux :
Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire[1].

Elmire
Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.

On tient que mon mari veut dégager sa foi,
Et vous donner sa fille : Est-il vrai ? dites-moi.

Tartuffe
925Il m’en a dit deux mots : mais, madame, à vrai dire,

Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire ;
Et je vois autre part les merveilleux attraits
De la félicité qui fait tous mes souhaits.

Elmire
C’est que vous n’aimez rien des choses de la terre.


Tartuffe
930Mon sein n’enferme pas un cœur qui soit de pierre.


Elmire
Pour moi, je crois qu’au ciel tendent tous vos soupirs,

Et que rien ici-bas n’arrête vos désirs.

Tartuffe
L’amour qui nous attache aux beautés éternelles

N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles :
935Nos sens facilement peuvent être charmés
Des ouvrages parfaits que le ciel a formés.
Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles ;
Mais il étale en vous ses plus rares merveilles :

  1. Panurge, dans Rabelais, agit comme Tartuffe : « Quand il se trouvait en compagnie de quelques bonnes dames, il leur mettait sur le propos de lingerie, et leur mettait la main au sein, demandant : Et cet ouvrage est-il de Flandre ou de Haynault ? »