Page:Molière Femmes Savantes.djvu/14

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CLITANDRE.

Mon cœur n’a jamais pû, tant il est né sincere,
Même dans votre Sœur flatter leur caractere,
Et les Femmes Docteurs ne sont point de mon goust.
Je consens qu’une Femme ait des clartez de tout,
Mais je ne luy veux point la passion choquante
De se rendre sçavante afin d’être Sçavante ;
Et j’aime que souvent aux questions qu’on fait,
Elle sçache ignorer les choses qu’elle sçait ;
De son étude enfin je veux qu’elle se cache,
Et qu’elle ait du sçavoir sans vouloir qu’on le sçache,
Sans citer les Autheurs, sans dire de grands mots,
Et cloüer de l’esprit à ses moindres propos.
Je respecte beaucoup Madame votre Mere,
Mais je ne puis du tout approuver sa chimere,
Et me rendre l’écho des choses qu’elle dit
Aux encens qu’elle donne à son Héros d’esprit.
Son Monsieur Trissotin me chagrine, m’assomme,
Et j’enrage de voir qu’elle estime un tel Homme,
Qu’elle nous mette au rang des grands & beaux Esprits
Un Benest dont partout on sifle les Écrits,
Un Pédant dont on voit la plume liberale
D’officieux papiers fournir toute la Hale.

HENRIETTE.

Ses Écrits, ses discours, tout m’en semble ennuyeux,
Et je me trouve assez votre goust & vos yeux
Mais comme sur ma Mere il a grande puissance,
Vous devez vous forcer à quelque complaisance.
Un Amant fait sa Cour où s’attache son cœur,
Il veut de tout le Monde y gagner la faveur ;
Et pour n’avoir personne à sa flame contraire,
Jusqu’au Chien du Logis il s’efforce de plaire.