Page:Mommsen - Histoire romaine - Tome 8.djvu/251

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trine (IV, p. 243), » il défend qu’on pleure sur la tombe du poète immortel !

Par un phénomène étrange, ce rare génie, dont la veine poétique remonte aux sources primitives, et qui rejette dans l’ombre tous ou presque tous ses devanciers, le sort le fait naitre en un siècle ou il sera comme perdu et étranger : de la sa prodigieuse méprise dans le choix de son sujet. Il se fait l’adepte d’Epicure, qui transforme le monde en un vaste tourbillon d’atomes, qui tente d’expliquer par la causalité purement mécanique et le commencement et la tin des choses, ainsi que les problèmes de la nature et de la vie, système bien moins fou, d’ailleurs, que le syncrétisme historique et mythique essayé par Evhémère et ensuite par Ennius, système grossier et glacé, après tout. Mais vouloir mettre en vers de telles spéculations cosmiques, c’était prodiguer au plus ingrat des sujets et l’art, et l’inspiration douée de vie. Pour qui le lit en philosophe d’ailleurs, le poème didactique de Lucrèce ne touche pas aux points les plus délicats du système ; on y constate à regret l’exposé trop superficiel des controverses, la distribution défectueuse des matières, les répétitions ; et quant à ceux qui n’y cherchent que la poésie, ils se fatiguent vite de ces dissertations mathématiques condamnées au mètre du vers, et rendant vraiment illisible une bonne partie du livre. Pourtant en dépit de ces énormes vices, sous lesquels eût inévitablement succombé un écrivain ordinaire, Lucrèce peut à bon droit se vanter d’avoir conquis, dans cette Arabie Pétrée de la poésie une palme que les muses n’avaient encore

1 [Chose singulière, Cicéron ne parle de lui qu’en termes froids : Ovide ne lui paye qu’un tribut vague, et Quintilien ne le comprend pas. Cic. ad Quint. fiat. 2. 11. « Lucretii poematau. mm multis luminibus ingcniiQ mztltçze lamcn artis. - Ovid. de art. am. 1. 15. 23,- Quinti. 10, 1, 87. — Mais Virgile et Horace l’ont souvent pratiqué. Gell. 1. 21.1 —