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CŒUR MAGNANIME

pas — répondait-elle gentiment — et puis le Canada, n’est-ce pas encore la France ? je suis donc toujours « chez nous. »

En peu de temps la gracieuse petite parisienne était devenue l’enfant gâtée de la haute société québecquoise. Ce concert de sympathies atténuait un peu le douloureux vide de son cœur ; cependant, comme Rodrigue l’avait dit un jour, pour cet être fragile la souffrance, même morale, ne pouvait être que mortelle. La mort de son mari avait ébranlé sa santé ; ce n’était plus pour elle qu’une question de mois. Heureusement la malade était la première à ignorer sa véritable situation ; Anne-Marie s’appliquait d’ailleurs à la lui cacher, ou bien mettait sur le compte du changement de climat et de sa prochaine maternité cette faiblesse qui s’accentuait chaque jour.

On s’entretenait souvent du cher disparu et surtout du doux petit être qui allait le faire revivre et dont on attendait, avec impatience, la venue.

Ce fut une petite fille. Elle vint au monde le jour même où la Sainte Église exaltait les vertus et le triomphe de l’illustre vierge espagnole, la grande réformatrice de l’ordre du Carmel : C’était un pieux augure… L’enfant fut nommée Carmen.

La mignonne créature répandit un peu de bonheur et de vie dans le foyer endeuillé. Lorsque le bon Docteur rentrait chaque soir de ses interminables tournées, son meilleur délassement était de prendre sur ses genoux le ravissant baby. Madame Solier retrouvait ses maternelles délicatesses de jadis ; la petite Carmen lui rappelait Anne-Marie, enfant.

La jeune fille et « Grande Amie », qui revendiquait