Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/124

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— Prenez garde, cela peut vous jouer quelque méchant tour.

— Je le sais.

— Et croyez-moi, à votre place…

— À ma place, dit Irénée, vous penseriez comme je pense. La clairvoyance m’arrive trop tard ; elle me laisse sans courage. J’aperçois le vide de ma jeunesse. Ah ! qu’il vaut bien mieux s’attacher à une idée qu’à une affection !

M. Blanchard se tut. Irénée reprit avec un accent d’amertume :

— Qu’est-ce que j’ai fait de mes jours jusqu’à présent, de ma richesse, de mon instruction ? À quelle chose, je ne dirai pas grande, mais seulement honorable ou fertile, ai-je employé mes années les meilleures et les plus belles ? Oisif que j’étais, j’ai voulu m’approprier l’existence d’une femme. Voilà une belle œuvre ! Encore si j’y avais réussi !

— Bah ! ne pensez plus au temps perdu, pensez au temps à venir.

— Mon temps à venir est gâté. Quelles fleurs et quels fruits peut donner un arbre qui ne vit plus par sa racine ?

— Vous êtes à peine entré dans la vie, dit M. Blanchard.

— Oui, je connais cet argument ; je suis à peine entré dans la vie ; mais par quelle porte y suis-je entré ? par la porte mauvaise, par la porte infernale, par la porte au seuil de laquelle on laisse l’espérance. Maintenant il faut que je retourne sur mes pas. Ma foi, je n’en ai plus la force. Adopter de nouveaux principes, piétiner sur mes anciens sentiments, recommencer l’apprentissage du monde à un autre point de vue, et cela, pourquoi ? Pour me tromper encore peut-être ! Cela n’en vaut pas la peine.

— Voilà de fâcheuses dispositions pour un matin de duel.

— Oh ! cette femme ! murmura Irénée.

Pendant quelques instants ils marchèrent en silence.

— Tenez, fit tout à coup Irénée en montrant Philippe Beyle, c’est cet homme qui a raison, c’est cet homme qui est fort ! Il a plus vite fait que de maudire les femmes, il les nie. Cet homme me vengera.