pu consentir à entendre parler de moi pendant une demi-heure ?
— Peut-être davantage.
— Mais vous avez échoué ?
— Absolument, répondit Philippe d’un ton de regret.
— Je m’y attendais.
Le comte s’effaça plus avant dans son fauteuil avec un air de béatitude, tandis que Philippe le regardait avec stupéfaction.
— Permettez-moi de vous faire observer, monsieur le comte, qu’une telle prévision faisait prématurément le procès à mon zèle ou à mon éloquence, repartit Philippe un peu froissé par cette indifférence qui contrastait si étrangement avec l’empressement de la veille.
— Oh ! je ne vous mets pas en cause, mon jeune avocat ! Je suis persuadé que vous avez fait merveille. Mais ma femme, ma femme ! L’avez-vous trouvée assez hautaine, assez Maintenon ?
— Madame la comtesse a été très digne… et très inflexible.
— Oui, c’est cela. Cette dignité produit sur moi les effets les plus inconcevables. Toutes les fois que je pense à ma femme, il me vient des envies féroces d’ouvrir une boutique de draps comme Mirabeau et de m’abonner à un journal dirigé par M. Odilon Barrot. Et… ma fille, l’avez-vous vue aussi ?
— Oui, monsieur le comte.
— Ah ! Lui avez-vous parlé ?
— Cinq minutes à peine.
Le comte le regarda.
— Voici quelques fleurs qu’elle vous envoie, dit Philippe en tirant de sa poitrine le petit bouquet d’Amélie.
— Chère enfant ! murmura le comte, qui mit deux ou trois baisers sur les fleurs ; n’est-ce pas qu’elle est belle ?
— Au point que j’en ai été ébloui.
— Quel âge lui supposez-vous ?
— Dix-huit ans environ, répondit Philippe.
— Elle n’en a que seize. Ah ! quel vif et gracieux contraste