Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/218

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Philippe la regarda s’éloigner, sans pouvoir faire un pas, et semblable à un home frappé de paralysie. On le coudoya, il ne se dérangea pas. On lui adressa la parole, il n’eut pas de réponse. Tout à coup, revenu à lui, il sortit brusquement de l’hôtel d’Havré, et il commença, à pied, dans Paris, une de ces courses folles, divagantes, qu’ont accomplies tous ceux qu’atteint un bonheur terrible ; une de ces courses sans but, sans souci des rues boueuses et noires, avec des discours prononcés tout haut, avec des apostrophes aux murailles, avec des sourires aux étoiles, la tête nue, le sang rapide comme un fleuve, le cœur battant à grands coups dans la poitrine ; une de ces courses qui dévorent des lieues, des faubourgs, des barrières, tantôt s’arrêtant brusquement pour admettre une considération, pour discuter un obstacle oublié, puis continuant plus frénétiquement que jamais, après avoir repoussé la considération, après avoir pulvérisé l’obstacle, le regard vainqueur, le bras théâtral, toutes sortes de petits cris de joie, et le pied infatigable comme un Juif-Errant de la félicité ! Il faisait grand jour lorsqu’il remonta dans sa chambre de la rue de Vintimille.

Philippe Beyle était bien décidément désensorcelé. Il naissait à une vie nouvelle ; il allait naître à des sentiments nouveaux. Par l’intervention active du comte d’Ingrande, il reçut diverses autres invitations qui lui fournirent l’occasion de revoir Amélie. Chaque fois, la jeune fille semblait heureuse de sa présence, mais sous l’œil glacial de sa mère, elle était forcée d’imposer silence à son cœur.

Pendant que les rencontres de Philippe Beyle devenaient une tendre habitude pour Amélie, elles devenaient une tendre habitude pour Amélie, elles devenaient une obsession et une inquiétude pour la comtesse. Elle s’étonna d’abord, elle s’irrita ensuite de voir tous les salons, les plus aristocratiques et les plus puritains, accueillir ce jeune homme, comme s’il eût retrouvé quelque talisman des contes arabes. Sa surprise et son courroux n’eurent plus de bornes lorsque, à un grand dîner donné par le consul de Danemark, l’un de ses parents, elle vit placé à côté d’elle M. Philippe Beyle.