Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/268

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

manteau, son pardessus, sa casquette fourrée, ses doubles gants, son cache-oreilles, ses socques et son parapluie.

On ne recevait pas de femmes, parce que les femmes sont plus clairvoyantes que les hommes, et que Mme Baliveau avait à craindre les regards trop clairvoyants. Ces messieurs, au nombre de quatre, y compris Baliveau, se plaçaient dans un angle du salon, autour d’un table verte, pour y faire leur partie de piquet : deux joueurs, deux assistants.

L’installation du contrôleur était un des détails les plus importants de la soirée. Pour rien au monde, d’abord, il ne se fût assis sur une chaise autre que celle qu’on lui réservait habituellement. Si, par hasard, on l’avait déplacée, il la cherchait dans tous les coins sans dire un mot ; si on l’avait transportée dans une chambre voisine, il appelait Catherine et lui faisait subir un interrogatoire dans le corridor ; on ne devinait la cause de cette algarade que lorsqu’il reparaissait triomphalement chargé de sa chaise. Une fois assis, il examinait les pieds de la table ; il les éloignait ou les ramenaient, après avoir mesuré le degré de gêne qu’ils présentaient à ses genoux. Ensuite, le fluet contrôleur posait sur un guéridon, placé à portée de sa main, une grosse tabatière, dans le couvercle de laquelle était incrustée une montre d’argent, ce qui rendait ce meuble trop lourd pour séjourner dans sa poche ; puis, il retirait de son sein, comme on retire un oiseau auquel on a voulu procurer quelque douce chaleur, une calotte de soie noire dont il se coiffait avec précaution en promenant son regard et en disant :

— Vous permettez ?

Ces divers soins accordés chaque jour à ses aises et à ses manies avec une régularité qui eût désespéré une mécanique, excitaient bien parfois les railleries du rentier orgueilleux et les sourires du capitaine de gendarmerie ; mais M. et Mme Baliveau, en hôtes généreux, les respectaient et les protégeaient.

Depuis peu, un nouveau personnage avait réussi à s’introduire dans ce cercle étroit, monotone et respectable. Un jeune substitut du procureur du roi avait été admis à y apporter d’honorables prétentions à la main de Mlle Anaïs Baliveau.