Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/33

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— Vous habitez cependant l’hôtel ?

— Il est vrai, madame ; mais vous savez quel est mon caractère : je fuis les réunions, je vis retiré…

La marquise de Pressigny eut un hochement de tête, et dit avec un léger accent d’ironie :

— Oui, vous jouez au beau Ténébreux ; du moins c’est la prétention que vous avez.

— Une prétention, madame la marquise ? répéta M. de Trémeleu.

— Fort innocente, sans doute, mais je maintiens le mot ; car, enfin, cet hiver, à Bruxelles, l’on vous citait comme un des habitués du théâtre de la Monnaie.

Le jeune homme parut contrarié.

— En effet, dit-il, la musique est une de mes rares distractions.

— Et l’année dernière, continua la marquise, à Londres, ne vous a-t-on pas vu, durant toute la saison, déchirer vos gants, chaque soir à Covent-Garden ?

— C’est encore vrai, madame ; mais comment êtes-vous informée…

— Bon, nous autres femmes, est-ce que nous n’avons pas notre police secrète ?

— Vous croyez que je vais vous sourire, dit M ; de Trémeleu, et n’accepter ces paroles que sous bénéfice de plaisanterie. Sachez donc que j’ai souvent et très sérieusement évoqué ce soupçon ; oui, les femmes, j’entends celles qui agissent dans les hautes sphères, doivent disposer d’une police, à l’égard de tous les pouvoirs organisés. Elles ont, j’en suis presque certain, leurs espions, leurs courriers et leur télégraphie. S’il n’en était pas ainsi, nous verrions se produire dans la société une bien plus grande quantité de scandales et de catastrophes. L’apparence de régularité avec laquelle fonctionne le monde des sablons ne doit être imputée, selon moi, ni à la moralité ni à l’éducation, mais en notable partie à cette administration occulte dont vous venez de parler, madame, et dont…

— Et dont je suis probablement le Fouché ; c’est ce que vous voulez dire ?

Mme la marquise de Pressigny reprit, en souriant :