Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/417

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élevée contre les établissements patronnés par l’État devait inévitablement stimuler l’imagination des spéculateurs ; une industrie, étrange au premier aspect, est née et s’est fortifiée : nous voulons parler des commis voyageurs en fous, qui aujourd’hui sillonnent la France et l’étranger, s’introduisent dans les familles dont un des membres n’est pas absolument sain d’esprit, offrent des avantages considérables, des rabais, une bonne exposition au midi, une nourriture délicate et les meilleurs médecins de la Faculté. Ces messieurs ont des prospectus ; ils font ordinairement deux voyages par an ; la tournée la plus importante est celle du Midi. Il y a la bonne saison et la saison morte ; il y a aussi des années où les fous donnent considérablement, comme autrefois les pendus en Normandie.

On arrive à Charenton en suivant une charmante allée d’arbres, le long d’un cours d’eau aux talus gazonnés et coupé d’espace en espace, par de petits ponts en bois. Au bout de dix minutes de marche, un portail grillé se présente aux regards, sur la gauche. C’est là. Vous voyez qu’après tout ce n’est pas bien effrayant ; le malheur est qu’un préjugé y veille sur le seuil.

Toute la poésie du chemin avait été perdue pour M. Blanchard, puisque le transport avait été effectué pendant son sommeil ; mais en revanche, il ne perdit pas un détail de l’architecture extérieure de l’hospice. Ainsi que beaucoup de personnes, il s’était jusqu’alors représenté Charenton sous la forme d’une maison noirâtre, cachée dans des broussailles ; il se trouvait en face d’un monument aux galeries superposées, grandiose comme un aqueduc, élégant comme un palis. Il fut surpris et ébloui.

Son examen terminé, il s’adressa au personnage âgé et décoré.

— Je viens, lui dit M. Blanchard, de vous entendre qualifier le directeur ; êtes-vous, en effet, le directeur de céans ?

— Oui, monsieur.

— Dans ce cas, et puisque je dois à une facétie de mes gens l’avantage de me trouver avec vous, me permettez-vous, en attendant leur retour, de visiter votre établissement ?