Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/439

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être d’aborder de front la difficulté et de dire simplement : M. Blanchard s’habitua peu à peu à Charenton. Après avoir roulé dans sa tête toutes sortes de plans d’évasion, après avoir rêvé de faire des échelles de cordes avec ses draps et de percer des souterrains avec un clou, une réaction bizarre s’opéra dans son esprit. Il découvrit un beau matin qu’il se portait à merveille, que l’air du canton lui plaisait infiniment, qu’il s’ennuyait moins qu’au Club, et qu’à tout prendre Charenton valait bien les Eaux-Bonnes ou même une villa florentine.

La monotonie, qu’il redoutait tant, évita de l’atteindre dans cette habitation toute acquise aux sursauts de la vie physique et morale. Il ne se passait pas d’heure qu’un pensionnaire ne vînt lui narrer un épisode digne d’intérêt à plusieurs points de vue ou lui poser une question dont la portée philosophique ne laissait pas que de se dégager sous une forme inusitée. Son cerveau se remplit petit à petit de nouveaux casiers, et dans ces casiers s’installèrent avec le temps des idées d’un ordre inaccessible pour d’autres que pour lui seul. Un spiritualisme particulier l’envahit à son insu, et devint insensiblement le seul élément possible de sa félicité. Observateur acharné où donc eût-il rencontré des sujets d’études plus variés, des sources de sensations plus fécondes ? Il n’y avait guère qu’une seule différence entre le monde et Charenton, et cette différence était toute à l’avantage de ce dernier endroit : c’est que là, du moins, les défauts, les vices, marchaient à visage découvert, presque fiers d’avoir anéanti la raison qui les gênait.

— Sentait-il germer en lui un grain de satiété, il sollicitait et obtenait aisément son changement de division. À voir arriver un nouveau pensionnaire, M. Blanchard éprouvait particulièrement une satisfaction fort vive. On a prétendu qu’afin de peupler sa résidence selon ses désirs et ses goûts, il avait eu quelques conférences avec un de ces commis voyageurs dont nous avons fait mention plus haut, et qu’il lui avait promis une prime assez ronde pour chaque nouveau fou qu’il dirigerait sur Charenton.

Cet amour pour la vie en marge de la société fut poussé à un tel point, qu’au bout de quelque temps M. Blanchard ne songea plus à réclamer sa liberté. Il est vrai de dire aussi qu’on ne