Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/66

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une calotte ou un coup de poing. La petite fille s’enfuyait en criant et la redoutait comme la peste.

Quelle satisfaction secrète trouvait donc Marianne à reporter sur une autre une partie des barbaries paternelles ? Il y a là des questions d’animalité qui font frémir. Effroyables joies que celles qui consistent à se venger des coupables sur les innocents ! La laideur de cette petite malheureuse, sa physionomie mélancolique, rien ne pouvait désarmer Marianne, qui semblait dire en la battant : « Je fais donc souffrir quelqu’un, moi aussi ! »

Marianne allait finir sa douzième année. Elle aimait à chanter. Elle retenait avec une facilité surprenante les airs que venaient écorcher les orgues dans la cour. Cette aptitude précoce frappa un professeur de musique qui demeurait au troisième étage. Il offrit aux parents de développer les dispositions de Marianne, et, comme il ne demandait aucun argent pour cela, il obtint facilement leur consentement. Tous les jours, après avoir fait les grosses commissions du matin, l’enfant venait s’asseoir au piano du professeur. Honteuse et charmée, elle recueillait ses moindres paroles avec cette avidité, cette crainte, ces grands yeux ouverts, cette haleine retenue, cette sueur, qui attestent la dévotion de la vocation.

Les progrès de Marianne furent tels que le professeur se rendit chez un éditeur de musique connu par ses idées, et qu’il le pria de venir entendre son élève. Marianne chanta devant ces deux hommes, lesquels, très satisfaits intérieurement, se gardèrent bien d’en témoigner quelque chose devant elle. L’éditeur, particulièrement, s’était composé un visage impénétrable ; les mains appuyées sur la pomme de sa canne, il regardait fixement la petite fille, de manière à l’intimider ; quelquefois seulement, avec son pied, il marquait la mesure. Lorsqu’elle eut chanté pendant une heure environ, ils la renvoyèrent sans une caresse. Marianne pleura, et crut n’avoir aucun talent.

Alors, entre le professeur et l’éditeur à idées, il y eut une très longue conversation, à la suite de laquelle tous les deux se rendirent chez le père et la belle-mère de Marianne. Là, un singulier traité, mais dont les exemples sont nombreux dans notre époque, fut conclu entre les quatre personnes.