Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/75

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vous êtes capable de tous les sacrifices que je suis disposé à accomplir en faveur de Marianna, et songez bien surtout que ne pas faire autant que moi pour elle, c’est confesser l’infériorité de votre amour.

Il se tut, il avait fini. Philippe Beyle demeura embarrassé pendant quelques minutes ; on le serait à moins. Ce langage l’avait touché, et son premier mouvement avait été de tendre une main cordiale à Irénée. Ç’eût été bien et digne. Mais en sa qualité de diplomate, Philippe Beyle n’écoutait jamais son premier mouvement. D’ailleurs, quelques mots maladroits échappés à Irénée sur sa forme et sur le luxe dont il lui était facile d’entourer Marianna, avaient éveillé sa susceptibilité. Il se sentit blessé également de ses précautions pour aplanir la distance que le blason établissait entre eux. Sous l’amant, il flaira le riche et le noble. Ces préoccupations l’emportèrent, et sa loyale résolution s’évanouit aussitôt. Il chercha et trouva une de ces réponses qui empourprent la figure mieux qu’un soufflet. Il dit :

— Monsieur, j’apprécie votre démarche et je m’en trouve honoré, mais vous m’excuserez de ne pas vous suivre sur le terrain où vous m’appelez. Je suis peu expert en matière de sentiment ; il me semble toutefois que le bonheur d’une personne vient plutôt de celui qu’elle aime que de celui qui l’aime. Penser autrement, c’est se placer à un point de vue peut-être égoïste. Soyez sans crainte pour l’avenir de Mlle Marianna, il est aussi en sûreté dans mes mains que dans les vôtres.

Irénée ne répondit pas ; il salua et il sortit. On n’entendit plus parler de lui pendant un an. Cette année vit s’éteindre l’amour de Philippe Beyle pour Marianna, et redoubler l’amour de Marianna pour Philippe Beyle.

Philippe Beyle avait compté sur une liaison publique et éclatante ; il s’était promis de tirer honneur de cette nouvelle maîtresse, comme on tire honneur d’un diamant ou d’un coursier. Marianna trompa ses espérances. Au lieu de l’être lumineux, vivace, extrême, qu’il s’était flatté de trouver ou de développer