Page:Monselet - La Franc-maçonnerie des femmes, 1861.djvu/86

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d’en mourir bien vite. C’était une cantatrice, mademoiselle. Peut-être, lorsque quelques années auront ajouté à votre beauté, entendrez-vous résonner ce nom dans les salons qui cous attendent ou dans les loges armoriées du Théâtre-Italien ; ne craignez pas de prêter l’oreille : ce nom ne réveillera autour de vous que de touchants souvenirs et de douces sympathies ; c’est le privilège de ces femmes qui marchent si courageusement de la rampe à la tombe. Alors, mademoiselle, vous à qui toutes les félicités de ce monde doivent rendre la bienveillance facile, daignez vous rappeler celle dont vous avez conservé la vie, et au nom glorieux de la Malibran joignez quelquefois le nom indigne de la Marianna.

— La Marianna ! répéta brusquement madame d’Ingrande.

Et son regard alla frapper celui de la marquise de Pressigny, qui souriait, comme si elle se fût attendue à cette révélation.

— Vous êtes la Marianna… la chanteuse Marianna ? répéta Mme d’Ingrande.

— Oui, madame, répondit Marianna étonnée.

Marianna s’était levée, avons-nous dit ; elle allait se retirer, lorsque Mme d’Ingrande se levant à son tour, et de l’air de quelqu’un qui prend une décision, lui parla de la sorte :

— L’action de ma fille ne mérite pas autre chose que des remerciements ; ce qu’elle a fait pour vous, elle l’eût fait pour tout autre. Reprenez donc ce bijou, madame, reprenez-le ; il n’est pas convenable que vous vous en dessaisissiez.

En prononçant ces paroles, où elle avait mis tout ce que la voix peut contenir d’outrageant, Mme d’Ingrande prit la cassolette des mains d’Amélie et la rendit à Marianna.

— Oh ! murmura celle-ci sous l’affront, en contenant deux larmes près de jaillir.

Rejetée au fond de la voiture qui l’avait amenée, le mouchoir sur la bouche, Marianna, pendant le trajet de la Pointe du Sud à la Teste, jura une haine éternelle à l’orgueilleuse famille d’Ingrande.

On était au milieu de la journée. Des bruits de voix se multipliaient ; des détonations annonçaient la fête. Le long du rivage passaient de joyeuses carrossées de bourgeois arrivés par