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sa verve de la rue passa entière dans le journal[1]. Ce travail de chaque jour acheva de le rompre tout à fait au métier littéraire. À ce point de vue, l’apprentissage par le petit journal, tant décrié, a des côtés réellement profitables.

La première fois que j’ai rencontré Ourliac, — a écrit M. Arsène Houssaye, — c’était durant le carnaval de 1835, au bal de l’Opéra-Comique. On faisait cercle pour le voir danser. Il avait imaginé de représenter en dansant Napoléon à toutes les périodes suprêmes de sa vie : aux Pyramides, à Waterloo, à Sainte-Hélène. Il menait en laisse une femme qui ressemblait à un mélancolique pastel de Landberg, une de ces femmes qui vivent le plus honnêtement possible en deçà du mariage & hors du célibat. Nous fûmes du même souper ; je m’aperçus que sous le danseur il y avait un poëte. Il avait écrit deux romans de pacotille. C’était son désespoir. Il ne savait comment racheter ses premiers péchés littéraires. Il vivait avec son père & sa mère, rue Saint-Roch. Il habitait une petite chambre bleue, si j’ai bonne mémoire, tapissée de quelques pastiches de Watteau & de Boucher ; sa bibliothèque renfermait presque autant de pipes que d’in-octavo. On ne l’y voyait que le soir ou le dimanche, car il était attelé à un petit emploi de douze cents francs aux Enfants-Trouvés. Il avait beaucoup de camarades & peu d’amis. C’était dans

  1. M. Alphonse Karr s’est plusieurs fois souvenu des traits & des mots d’Édouard Ourliac. On lit fréquemment dans les Guêpes : « E. O. disait… »